Lexique

Voici des fiches sur des notions-clé du XVIIème siècle

GALANTERIE par Chiara Rolla

 

L’ascension sociale grâce à laquelle le milieu mondain s’élargit en accueillant à l’intérieur de l’élite aristocratique la riche bourgeoisie provoque un véritable bouleversement à l’intérieur des mythes de cette société. A côté de la noblesse de rang, d’autres valeurs, indépendantes de l’extraction sociale, deviennent importantes. La montée progressive de la bourgeoisie voit donc la naissance parallèle d’autres modèles sociaux sur lesquels la Préciosité fondera son statut : le galant homme, le bel esprit et l’honnête homme, auxquels sont strictement liés des concepts tels que la bienséance et la politesse.

Pour ce qui est du terme galant il faut partir d’une œuvre publiée en 1630 pour comprendre le sens et l’évolution de cet adjectif si fréquent dans la langue française du XVIIe siècle. Il s’agit de L’honnête homme, ou l’art de plaire à la Cour de Nicolas Faret (1), sorte de manuel où l’auteur indique aux gentilshommes quelles sont les qualités qu’ils doivent cultiver pour être acceptés à la Cour. Selon Faret le gentilhomme de naissance possède tout naturellement de bonnes tendances, mais même les hommes de « basse naissance » peuvent accéder à la Cour car il y a en a qui disposent et cultivent des qualités fort éminentes. Pour sortir de leur rang ils peuvent tout simplement accomplir des actions héroïques.

La définition de galanterie donnée par Faret est assez restreinte et limitée au domaine de la conversation: elle consiste en fait en « des traicts d’esprit et des effects d’un excellent jugement ».

Différente est la position que Charles Sorel exprime dans Les loix de la galanterie (1644) : le « galant homme » doit être issu d’une bonne famille, plein d’esprit mais aussi riche. Il ne peut prétendre « en galanterie, s’il ne vient d’une race fort relevée en noblesse et en honneurs et s’il n’a esprit excellent, ou s’il n’a beaucoup de richesses qui brillent aux yeux du Monde pour l’éblouir et l’empêcher de voir ses défauts ».

Vaugelas dans ses Remarques (1645) fait une analyse sémantique du terme en partant des définitions courantes. L’adjectif galant à l’époque désigne plusieurs qualités, parmi lesquelles il y a un « je ne sais quoi » d’indéfinissable, la bonne grâce, l’air de la Cour, l’esprit, le jugement, la civilité, la courtoisie, la gaieté, le tout sans contrainte et sans affectation. Mais cela ne satisfait pas Vaugelas, pour qui, dans le sens du terme il y a aussi des qualités intérieures et spirituelles difficiles, voire impossibles à définir.

L’Académie (1694) acceptera la définition de Vaugelas : « galant homme » signifie en effet « un homme civil, honneste, poly, de bonne compagnie et de conversation agréable ».

Il faut remarquer en tout cas qu’autour de cette définition persiste à l’époque une équivoque qui dépend de la position que l’adjectif occupe par rapport au substantif « homme ». Il y a en effet une différence sensible entre galant homme et homme galant : le premier est un homme d’esprit, enjoué et agréable, tandis que le second est « un homme qui a de certaines passions qu’il ne devroit pas avoir (2)».

Cet usage pourrait justifier l’acception du substantif galant, qui est, lui, encore plus ambigu, car le terme tout au long du XVIIe siècle est synonyme d’« amant » :

  • « Galant : […] Amant qui se donne tout entier au service d’une maistresse […] On dit aussi qu’un homme est un galant pour dire qu’il est habile, adroit, dangereux, qu’il entend bien ses affaires. Se dit aussi en mauvaise part de celuy qui entretient une femme ou une fille avec laquelle il a quelque commerce illicite ; et au féminin quand on dit c’est une galante on entend toujours une courtisane. » (A. Furetière, Dictionnaire universel, 1690 (3)).
  • « Galant. […] Il est aussi substantif, et signifie amant, amoureux. […] Mais il se dit plus ordinairement de celuy qui fait l’amour à une femme mariée, ou à une fille qu’il n’a pas dessein d’espouser. » (Dictionnaire de l’Académie française, 1694 (4)).

Cette ambiguïté disparaîtra définitivement seulement vers la fin du siècle quand le substantif « galant » sera remplacé par « amant », comme en témoigne l’édition de 1690 de la pastorale burlesque de Thomas Corneille, Le berger extravagant (1653).

A la veille de la poussée précieuse le galant homme est celui qui a des qualités extérieures et mondaines : somptuosité, magnificence, libéralité, élégance. Il aime la musique, les divertissements et les jeux. Il est poli et s’exprime avec propriété de langage. Le terme s’enrichit d’autres valeurs à l’époque de la publication des Femmes illustres et plus tard du Grand Cyrus (5). La définition précieuse correspond de plus en plus à une vision idéalisée de l’homme. En effet avoir un air galant signifie surtout posséder une disposition naturelle à l’être.

L’évolution que l’acception du terme subit de Faret à Madeleine de Scudéry est alors bien évidente : d’une simple qualité extérieure, la galanterie devient un ensemble de belles manières et de qualités morales et intellectuelles.

 

(1). Paris, T.du Bray 1630.

(2).Cet usage sera codifié par Nicolas Andry de Boisregard (1658-1742) à l’intérieur de ses Réflexions sur l’usage présent de la langue françoise, (Paris, L. d'Houry, 1689, 2 vol.).

(3). Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, A. et R.Leers, 1690. (Paris, SNL, Le Robert, 1978),http://gallica.bnf.fr/Catalogue/noticesInd/FRBNF37234801.htm

(4). Le dictionnaire de l’Académie françoise, tome premier (A-L), Paris, chez la veuve de Jean Baptiste Coignard, 1694, http://colet, uchicago.edu/cgi-bin/dico1look.pl ?strippedhw.

(5). Artamène ou le Grand Cyrus, Paris, Courbé, 1654. Pour une consultation complète et rapide du roman de Mlle de Scudéry nous renvoyons au site http://www. artamene.org.

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